Nuln’entre ici s’il n’est géomètre Selon la tradition, telle était l’inscription gravée à l’entrée de l’école fondée à Athènes par Platon, l’Académie. Avant de nous engager sur le sens profond de cette formule, il est important de préciser que cette formule attribuée à Platon ne l’a été que très tardivement, environ 10 siècles après sa mort !
31 janvier 2009 6 31 /01 /janvier /2009 2211 Ouverture ce jour du site de la R. L. Trusatilès . . . Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre * Même si vous n'êtes pas encore géomètre, mais cela ne saurait tarder, bienvenue sur le site de notre Loge Trusatilès. C'est le site d'une loge vivante qui travaille au Rite français. Vous y trouverez des articles sur la vie de la Loge - Rubrique Articles, des textes fondamentaux, des planches - Rubrique Pages, la liste des travaux en cours - Rubrique Travaux, la date de la prochaine tenue et des manifestations organisées par la Loge - Rubrique Ephéméride, des albums photos - Rubrique Albums, des liens vers... - Rubrique Sites à voir, ... Inscrivez-vous à la Newsletter, vous serez avertis, par mail, des mises à jour en temps réel. Orateur * La tradition veut que cette phrase ait été gravée à l'entrée de l'Académie, l'école fondée à Athènes par Platon. Mais que vaut cette tradition ? Notons tout d'abord que cette tradition ne nous est connue que par des sources très tardives, postérieures d'au moins 10 siècles à Platon elle est mentionnée par Jean Philopon, philosophe néoplatonicien chrétien qui vécut à Alexandrie au VIème siècle de notre ère et dont survivent plusieurs commentaires d'oeuvres d'Aristote, dans son commentaire du De Anima d'Aristoteet dont on est presque certain aujourd'hui qu'il n'est pas de Philopon; par Elias, un autre philosophe néoplatonicien alexandrin du VIème siècle de notre ère, postérieur à Jean Philopon et, comme lui, chrétien, dans son commentaire des Catégories d'Aristote; et aussi par Jean Tzetzès, auteur byzantin du début du XIIème siècle de notre ère, dans ses Chiliades VIII, 973, où on la trouve sous la forme complète. Les deux premières références proviennent de commentaires d'oeuvres d'Aristote, et de fait, on trouve le terme ageômetrètos chez lui, par exemple dans les Seconds analytiques, I, XII, 77b8-34, où le mot figure 5 fois en quelques lignes, mais il ne fait jamais référence, dans ses oeuvres conservées du moins, à cette inscription au fronton de l'Académie, où il étudia, enseigna et vécut près de 20 ans. V. M A. V. Commentaire de notre V.M. Al Ecker Avec un G majuscule comme Géométrie… Sans doute née sur les bords du Nil, la géométrie prendra sa vraie dimension de science dans le monde grec. A l'origine elle est l'art d'arpenter la terre, histoire de la mesurer en long, en large et en travers pour mieux répondre à l'une des grandes constantes du vivant, la possession d'un espace, bien sûr. Mais c'est aussi l'art de représenter, le plus rationnellement possible, le réel, afin d'en avoir une vue d'ensemble, et de lui donner, sinon un sens, au moins une dimension. C'est donc une manière concrète de conceptualiser le monde et l'abstraction mathématique, sachant que le scientifique le plus spéculatif ne rêve toujours que d'une chose voir le résultat de sa pensée. Ainsi, le simple ruban de Moebius, dans lequel le bas est en haut, et inversement, ne se comprend bien qu'en le voyant représenté. Aujourd'hui encore les cosmologistes les plus avancés sur les théories de la naissance de l'univers s'attachent néanmoins les services de puissants ordinateurs capables de "dessiner" les formes de leurs théories les plus échevelées. Ainsi, par exemple, Stephen Hawking eut-il besoin de son ami Roger Penrose pour se donner une "idée visible", à partir de ses théories mathématiques, de ce que pourrait être une singularité possible ayant participé à la création du monde. Platon conviait donc dans son Académie, non pas le notaire qui stabilise le droit, ni le géomètre en grec guéomètrès qui fige le territoire, mais bien l'arpenteur d'espaces, le gueometretos celui qui, en "géométrisant" au figuré, est capable d'exprimer le spectacle du cosmos, tant dans le domaine du visible que dans le monde des idées... RF BB TVFBB - dans Vie du blog-notes
Cest aussi un grand mathématicien qui voit les mathématiques comme la logique de l’esprit. Il a fondé l’Académie de Platon, dont la devise aurait été « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Selon Platon, le monde se fonde sur 5 éléments l’eau, la terre, le feu, l’air et l’éther (l’univers). Il ne peut donc 2 Cf. aux nombreux travaux de M. TOZZI, Thèses de E. CHIROUTER 2008, S. CONNAC 2005, N. GO 2006 ... 1Les différentes recherches récentes concernant les discussions à visée philosophique » DVP » ont démontré qu’il était possible de commencer à apprendre à philosopher dès l’école élémentaire2. Par la mise en place régulière de séances, et par l’étayage rigoureux de l’enseignant, de jeunes élèves apprennent à problématiser, argumenter et à conceptualiser sur de grandes questions universelles touchant à la condition humaine et à la place de l’homme dans le monde. C’est la didactique de la philosophie qui s’est ainsi développée ces dernières années, bouleversant considérablement les représentations traditionnelles de cette discipline. Le présent article sort du cadre précis de la didactique du philosopher pour s’intéresser aux conséquences, aux effets, que ces ateliers peuvent avoir sur les autres disciplines scolaires, et en particulier sur les Sciences et les Mathématiques. En permettant aux élèves d’engager une réflexion sur le sens des connaissances qu’est-ce qu’une vérité scientifique ? Qu’est-ce que d’ailleurs que la Vérité » ? Peut-on et comment l’atteindre ? A quoi servent les mathématiques ? Etc., les élèves peuvent retrouver la saveur des savoirs » dont parle P. Meirieu 2004, p. 75, c’est-à -dire faire émerger à nouveau toutes les inquiétudes, toutes les interrogations qui sont à la source des connaissances humaines. Par cette approche explicitement culturelle et réflexive des savoirs, le maître pourra susciter un intérêt d’ordre anthropologique chez ses élèves et leur permettra ainsi de donner plus de sens aux activités scolaires proposées. Nous reprenons ainsi à notre compte le fondement éthique d’une anthropologie des savoirs scolaires » défendue par Levine et Develay nous considérons que l’élève s’ouvre au plaisir d’apprendre chaque fois qu’il a va à la rencontre d’un supposé savoir qu’il situe dans l’inconnu des secrets construits par tous ceux qui l’ont précédé et chaque fois qu’il a le sentiment de participer de plain-pied au savoir en gestation, d’être inscrit au club de ceux qui se confrontent aux problèmes majeurs de l’évolution des sciences et de la société » 2003, p. 11. C’est ainsi toute la dynamique du désir et du sens à l’œuvre dans l’appropriation des savoirs qui nous intéresse ici. 2Nous nous interrogerons plus spécifiquement sur les différents effets que des ateliers de philosophie peuvent avoir sur les représentations et les difficultés que rencontrent certains élèves en mathématiques et en sciences. De très nombreux préjugés, plus ou moins conscients, continuent effectivement de circuler concernant ces disciplines, préjugés sur notamment, nous y reviendrons, les conditions de possibilité de réussite dans ces domaines particuliers. Ces jugements inconscients concernent souvent le genre des élèves les garçons étant censés être naturellement » plus doués » en mathématiques et en sciences que les filles Mosconi, 2004. De plus, à coté des obstacles de compréhension plus classiques, de nombreux élèves rencontrent également des difficultés importantes liées à la place de l’affect dans le processus d’apprentissage Nimer, 1976, et/ou de l’absence de sens accordé à ces activités Charlot, 1997. La question que nous posons ici est donc la suivante la mise en place de discussions à visée philosophique sur des questions d’épistémologie peut-elle permettre de faire évoluer les représentations des élèves ? Peut-elle débloquer certaines angoisses liées à ces apprentissages ? Les DVP » permettent-elles d’instaurer un nouveau rapport au savoir, de donner plus de sens aux activités demandées et facilitent-elles ainsi la réussite des élèves ? 3Du point de vue de la méthodologie, notre recherche étant récente, le présent article se propose de définir et de délimiter précisément la problématique et les hypothèses, de faire le point sur les enjeux théoriques et de synthétiser les travaux antérieurs sur la question. Nous exposerons nos premiers résultats et ouvrirons des champs d’investigation pour le futur. L’article s’appuie sur les recherches menées en partenariat avec une équipe canadienne Daniel, 2005, sur les témoignages d’enseignants pratiquant les DVP » depuis plusieurs années Lalanne, 2002, et il propose enfin l’analyse d’une séance de réflexion philosophique à partir d’une adaptation de l’Allégorie de la Caverne de Platon dans une classe de CM2 et des entretiens effectués suite à cette séance avec les enseignantes de la classe Institutrice Maître Formatrice et professeur des écoles stagiaire. 4Dans un premier temps, nous exposerons donc les enjeux de la question en quoi les ateliers de philosophie peuvent-ils produire des effets sur les autres disciplines scolaires, et en particulier en sciences et en mathématiques ? Et dans une deuxième partie, nous analyserons les données et tirerons les premières conclusions de cette recherche en cours. 1. Les enjeux de la question philosophie et rapport au savoir Prendre en compte le sujet derrière l’élève 5Notre travail s’inscrit volontairement dans le cadre d’une sociologie du sujet » Charlot, 1997. Derrière l’apprenant » ou l’élève, il y a un enfant, un sujet, doté d’affectivité, s’inscrivant dans une histoire à la fois personnelle et collective. Comme l’a montré J. Lévine dans ces différents travaux 2003, les DVP » prennent pleinement en compte cette dimension puisqu’elles s’appuient sur la nécessité intérieure, propre à tout être humain, de donner de l’intelligibilité à son expérience du monde. C’est cette nécessité universelle qui donne naissance à toute forme de pensée, qu’elle soit religieuse, philosophique, scientifique. Et si, comme le disait Kant, elle est au fondement de la dignité humaine, alors une des missions de l’école républicaine est de faire saisir aux élèves ce lien qui les unit au reste de l’humanité et rassemble les êtres, au-delà de leurs différences culturelles particulières. L’enfant et l’étonnement devant le monde 6Dès trois ans, les enfants posent spontanément et avec beaucoup d’intensité ces grandes questions métaphysiques universelles sur l’origine de la vie, de la matière, sur l’infini, le fini et la mort. Parmi toutes les questions que l’enfant se pose, la question des relations entre le monde réel et le monde imaginaire tient une place particulière. La question de la Vérité les passionne qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Quelle est la différence entre une croyance et un savoir ? Entre la fiction et la réalité ? Comment ai-je pu croire si longtemps et si intensément au Père Noël ? Pourquoi la découverte qu’il n’existe pas me laisse comme un sentiment de nostalgie et le désir de toujours continuer à croire, un peu, aux mondes magiques ? Nous verrons lors de l’analyse de la séance sur l’Allégorie de la caverne de Platon que cette question est effectivement très intense et soulève chez eux des propos très profonds sur la question de la Vérité. Retrouver la saveur des savoirs » 7Il s’agit de s’appuyer sur cette curiosité philosophique enfantine pour aborder les savoirs en les inscrivant à nouveau dans la genèse et la dynamique intellectuelle qui les a fait naître, en les resituant dans l’histoire de la pensée, en faisant d’eux non pas des objets scolaires stériles mais de véritables objets culturels » disposant d’un pouvoir d’intérêt intrinsèque. A quelles questions fondamentales répondent-ils ? Pourquoi et comment les hommes cherchent-ils à connaître les secrets de la vie et de l’univers ? Pourquoi les grandes découvertes scientifiques Copernic, Galilée, Darwin ont-elles eu tant de mal à s’imposer ? En resituant les doutes, les inquiétudes, les questionnements, la curiosité, qui sont à la source des connaissances humaines, l’approche philosophique peut instaurer chez les élèves un autre rapport à ces savoirs, plus vivant, mais surtout plus efficace pour leur appropriation véritable. 3 A retrouver sur le site du LIMIER Littérature Illustrée Médiathèque. Intervention en Education e ... 8Des travaux ont déjà été effectués concernant les effets constatés sur d’autres disciplines que les mathématiques et les sciences. E. Chirouter, dans une conférence donnée au congrès de l’ACGAS en 2010 sur Allier Littérature de jeunesse, Arts et Philosophie dès l’école élémentaire. Des récits pour penser des questions d’esthétique »3, a montré comment des ateliers de réflexion sur des questions d’esthétique ont permis à des élèves de cycle 3 de mieux comprendre le sens des activités en Arts visuels. En réfléchissant à partir de récits comme le conte de M. Yourcenar Comment Wang-Fo fut sauvé sur le sens de la démarche artistique, ils ont mieux saisi le sens de ce que l’enseignant exige d’eux lors des séances d’arts plastiques. Ils ont pu mettre en lumière une des idées centrales de l’esthétique contemporaine ce qui compte aujourd’hui dans la production artistique, c’est moins le résultat technique parfait de la belle reproduction à l’identique de la réalité, que la démarche personnelle, intime, qui vise à donner du monde une représentation singulière. Des entretiens avec les élèves et les enseignants ont permis de mesurer à quel point ces séances de philosophie sur des questions d’esthétique avaient ainsi permis aux élèves de faire évoluer leurs représentations et leur compréhension de la disciple. Préjugés, représentations et blocages en Mathématiques et en Sciences 9Nous nous interrogeons ici sur les effets que des ateliers de philosophie peuvent avoir sur les apprentissages en mathématiques et en sciences. Il nous faut donc dans un premier temps examiner la nature des difficultés sur lesquelles les ateliers de philosophie peuvent avoir des effets. Il nous semble que ce sont surtout sur des difficultés affectives, comme les angoisses ou les blocages Nimier, 1976 et/ou culturelles, comme les préjugés sexistes persistants Mosconi, 2004, que les ateliers de philosophie peuvent interagir. Mathématiques et affectivité 10Les difficultés mathématiques peuvent trouver leur source dans des angoisses profondes liées à l’inconscient de l’élève-sujet. Comme l’ont montré les travaux de J. Nimier, les objets mathématiques, comme tout autre type d’objets au sens psychanalytique du terme, peuvent être investis fantasmatiquement par les élèves et donc être source d’angoisses et de craintes. Dans Mathématique et affectivité, il démontre que ces objets sont investis par un imaginaire personnel et social, ce qui entraîne diverses représentations, positives ou négatives, des mathématiques chez les élèves. Ainsi, dans un certain nombre de cas, ni l’intelligence » la bosse des maths » ni le manque de travail » ne sont la véritable cause des difficultés ou des réussites en mathématiques. En analysant avec précision des questionnaires et entretiens, J. Nimier a constaté que les angoisses mathématiques sont souvent liées à des associations d’idées inconscientes pour certains élèves, calculer représente un danger », un manque », une castration », un abandon », un vide », ou un vertige. En parlant d’un des élèves, J. Nimier écrit Cette nullité n’est pas due au manque de possibilité intellectuelle, puisque, sous diverses influences, il est capable brusquement de réussir comme il le faisait déjà dans d’autres matières. Elle ne semble donc pouvoir provenir que de son désir inconscient d’échec en cette discipline. Il semble aussi que les thèmes abordés peur de perdre », désir inconscient de se rendre aveugle », montrent qu’il s’agit sans doute ici du thème de la castration. Faire des mathématiques est devenue une action tellement angoissante pour lui qu’il doit se castrer lui-même en se rendant aveugle pour ne pas être tenté de faire cet acte ; il dépense une énergie considérable, semble-t-il, pour se séparer des mathématiques les laisser tomber, car, sinon, s’il se rapproche des mathématiques, c’est alors l’angoisse, la peur de perdre quelque chose qui l’envahit. En définitive, il préfère laisser tomber » plutôt que de perdre ». 1976, p. 164. Bien sûr, l’enseignant dans sa classe n’a pas de prise sur ce qui se passe dans l’inconscient des élèves. 11Avant d’avancer dans notre réflexion, une précision d’importance s’impose Il n’est nullement dans nos intentions de transformer le travail scolaire en travail psychanalytique. Ce que nous posons c’est qu’un travail de réflexion sur des questions anthropologiquement fortes a forcément des effets sur l’élève-sujet. Et si pour bien apprendre il faut être serein psychiquement, alors ces effets psychologiques permettent une meilleure appropriation des savoirs scolaires. Nous rejoignons totalement Levine et Develay quand ils affirment Entre la zone 1 de la pédagogie classique et la zone 3 de la psychanalyse, il existe en effet une zone 2 dont le principe est celui de la sensibilité relationnelle dans le cadre du langage intermédiaire. » 2003, p. 15. C’est ce qu’affirme aussi J. Nimier lui-même quand il analyse et répertorie les différents types d’angoisses liés aux objets mathématiques. L’enseignant ne peut pas faire l’impasse sur ce type de difficultés particulières sous prétexte qu’il ne serait pas psychologue ». Il faut inventer une pédagogie qui prenne pleinement en compte l’élève-sujet et la place de l’inconscient dans le processus d’apprentissage. Nous pensons que les ateliers de philosophie permettent effectivement de trouver cette bonne mesure entre pédagogie et psychanalyse. Pour aider les élèves à lever ces inhibitions ou ces angoisses, J. Nimier préconise d’ailleurs d’offrir un cadre à leur imaginaire qui contribuerait à l'apprentissage des disciplines plutôt que d'y faire obstacle, ce qui soutient l’hypothèse que des ateliers de réflexion philosophique sur des questions de logique mathématique et d’épistémologie pourraient certainement avoir des effets positifs sur ces blocages affectifs. 12S. Boimare dans L’enfant et la peur d’apprendre, dans le chapitre, Des maths plutôt que des mythes », avait lui analysé le cas d’Alberto qui se réfugiait dans des apprentissages mathématiques extrêmement répétitifs et mécaniques pour s’empêcher de réfléchir et de penser. La véritable recherche mathématique demande une prise de risque intellectuelle, des moments de blancs et de silence qui risquent de perturber l’équilibre psychique précaire d’enfants en grande souffrance. Le doute est alors insupportable pour eux et réactive des angoisses primitives archaïques Quand je ne trouve pas le résultat d’un problème je pense que ça va être bientôt l’apocalypse et qu’on va retourner fondre sur le soleil » 2002, p. 32. La confrontation avec le doute, le manque et la solitude, confrontations pourtant inhérentes à l’acte d’apprendre, réveille chez certains élèves des angoisses intimes et profondes. Comprendre ces peurs, les apprivoiser, leur donner une forme d’extériorisation acceptable, est une condition indispensable pour réconcilier ces enfants avec le savoir scolaire et les mathématiques en particulier. Dans le chapitre Apprendre à diviser avec Castor et Polllux », S. Boimare montre comment le récit mythologique, parce qu’il confronte symboliquement les élèves à des problématiques personnelles intenses, leur permet par ricochet inconscient de mieux affronter les exercices mathématiques scolaires Lorsque le travail sur la division prend appui sur le mythe de Castor et Pollux que je viens de lire, Didier n’est plus envahi par ses fantasmes personnels et sa pensée est suffisamment libre pour l’autoriser à accéder à un fonctionnement intellectuel qui n’était pas possible jusque-là . On peut donc se demander s’il n’a pas trouvé dans le passé de ces jumeaux, dans l’histoire de ce conflit entre les cousins, des éléments qui le protègent de ses propres inquiétudes et de leurs débordements » 2002, p. 105. S. Boimare fait d’ailleurs bien la part dans son ouvrage entre le psychanalytique et le pédagogique, et délimite bien la frontière entre les deux approches. Les grands récits permettent à des élèves en souffrance de retrouver une certaine paix intérieure et par-là de l’intérêt pour les savoirs scolaires. Parce que ces histoires sont à la fois proches de leurs préoccupations personnelles intimes et suffisamment éloignées symboliquement pour ne pas les obliger à les affronter trop directement, elles sont une médiation culturelle nécessaire pour oser penser. En parlant des peurs, des craintes archaïques, de l’identité sexuelle, des limites du désir confronté à la loi, elles rassurent les élèves en leur permettant de mettre des images et des mots sur leurs troubles intérieurs et de se relier au reste de l’humanité. De la même façon, même si les ateliers de philosophie ne sont nullement des moments à visée thérapeutique, ils ont bien des conséquences sur l’affect des élèves. Nous faisons donc aussi l’hypothèse qu’une approche plus résolument philosophique de ces textes par l’étayage de l’enseignant qui pousse la réflexion dans le sens de cette lecture spécifique et la conceptualisation de la notion travaillée peut aider psychiquement les élèves et leur permettre ainsi d’être plus disponibles affectivement pour des acquisitions scolaires générales. Mathématiques/Sciences et préjugés culturels 13D’autres difficultés sont liées à la persistance de préjugés concernant le prétendu don » d’apprentissage nécessaire pour réussir dans ces disciplines et les préjugés sexistes inhérents voir N. Mosconi, M. Desert sur la différenciation sexuée des disciplines scolaires, 2004. M. Désert affirme ainsi Du point de vue des psychologues sociaux, l’origine des différences de genre réside plutôt dans les rôles sociaux Eagly, 1987, ainsi que dans les préjugés et stéréotypes sociaux, appris au cours de l’existence. Par exemple, aujourd’hui encore on dit des femmes qu’ “elles sont moins rationnelles que les hommes” ou “qu’elles sont moins douées que les hommes en mathématiques”, mais qu’elles “sont plus sensibles, plus fines au niveau affectif que les hommes”. Ces stéréotypes, ou ces réputations, sont si répandus dans la société qu’il est difficile de ne pas les connaître. Les enfants en prennent d’ailleurs très tôt conscience Desert et Martinot, 2004 et les adolescents les ont pleinement intégrés Guimond et Roussel, 2001. Les réputations négatives, à leur tour, peuvent créer une pression évaluative sur les personnes qui en sont la cible. Cette pression peut être suffisante pour interférer avec le fonctionnement intellectuel normal de ces personnes Schader et Johns, 2003 et les amener à confirmer leur réputation par leur comportement. » 2004, p. 32 14Là aussi des ateliers de réflexion philosophique explicitement menés sur l’existence de ces préjugés, en les mettant à jour, en les soumettant à la question de l’analyse critique, peuvent certainement permettre aux élèves filles et garçons d’être plus attentifs à leurs propres représentations, habitus et attitudes et par-là de les transformer. La réflexion critique permet de démystifier les idées préconçues sur les conditions de possibilité de réussite dans les disciplines scientifiques. C’est ce qu’ont clairement montré les études de Daniel et de son équipe de l’université de Montréal 2005. Les élèves qui ont participé à cette recherche canadienne ont d’ailleurs surtout souhaité interroger la nature des difficultés rencontrées en mathématiques Pourquoi certaines personnes ont plus de facilités que d’autres en maths ? ». La discussion philosophique peut permettre effectivement de faire bouger les représentations Il est fondamental que les élèves prennent conscience des sentiments qui les animent, sachent les distinguer, les définir pour être ainsi en mesure de les gérer dans une perspective éthique. Le rôle de la philosophie est d’assister les personnes à transcender l’émotion brute ou la réaction instinctive pour atteindre le raisonnable et le responsable » Daniel, 2005, p. 64. Nous détaillerons plus précisément les résultats de cette recherche dans le second moment de notre article consacré à l’analyse des données. Donner du sens aux apprentissages » 15Ainsi, si nous voulons véritablement donner du sens aux apprentissages », pour reprendre cette expression si largement usitée aujourd’hui dans le champ de l’éducation et qu’il n’est donc pas inutile de re-conceptualiser, il faut permettre aux élèves de construire un rapport vivant, incarné, aux savoirs scolaires. Comme l’affirme B. Charlot, un élève qui n’apprend que pour éviter les mauvaises notes ou passer dans la classe suivante ne construit un rapport au savoir que vain, futile et éphémère Dans un tel cas, l’appropriation du savoir est fragile car ce savoir n’est que peu soutenu par le type de rapport au monde décontextualisation, objectivation, argumentation… qui lui donne un sens spécifique – il prend sens dans un autre système de sens. Dans un tel cas également, l’appropriation du savoir ne s’accompagne pas de l’installation dans une forme spécifique de rapport au monde et elle n’a guère d’effet de formation – ni de transfert » ». 1997, p. 74. L’appropriation véritable passe par une authentique dynamique du désir et du sens les ateliers de philosophie, par leur essence même de retrouver le fondement ontologique de toutes interrogations et connaissances, sont capables d’amorcer cette dynamique nécessaire. 16Après avoir délimité notre problématique et les enjeux théoriques du sujet, nous allons à présent analyser les premières données de notre recherche. 2. Méthodologie, analyse des données et premières conclusions de la recherche Description de la méthodologie 17Notre recherche s’appuie sur trois types de données l’analyse d’une séance de réflexion à visée philosophique réalisée dans une classe de CM2 de l’école de l’Epeau au Mans Zone d’Education Prioritaire, ZEP à partir d’une adaptation de l’Allégorie de la Caverne de Platon et des entretiens menés suite à cette séance avec les institutrices de la classe sur les effets constatés. L’analyse est faite à partir du script de la séance qui a été filmée intégralement. L’analyse de cette séance nous permettra essentiellement de mesurer la qualité des réflexions épistémologiques auxquels sont parvenus ces élèves ; l’analyse de témoignages d’enseignants pratiquant les DVP » depuis plusieurs années avec les mêmes élèves et ayant observé les effets de ces ateliers sur les autres disciplines ; enfin une première synthèse du travail déjà effectué sur la question en collaboration avec Daniel de l’Université de Montréal 2005. Analyse des données et premières conclusions Une séance sur l’Allégorie de la Caverne au cycle 3 4 Nous remercions Michelle Renaudeau, professeur des écoles, IMF à l’IUFM du Mans, de nous avoir accu ... 18Avant d’analyser les effets sur le long terme des ateliers de philosophie, il nous semblait essentiel d’évaluer les capacités réflexives d’élèves de cycle 3 sur ces questions si complexes d’épistémologie. Jusqu’où les élèves peuvent-ils mener leur réflexion dans ce domaine ? Quelles sont les problématiques qui les interrogent et les concernent ? Comment peuvent-ils définir le statut d’une vérité scientifique, faire la distinction entre croire et savoir, et s’intéresser ainsi à la question de la genèse et du fondement de la vérité ? Nous avons ainsi choisi d’effectuer nous-mêmes une séance d’une heure et demie dans une classe classée ZEP du Mans, classe d’une IMF pratiquant régulièrement des ateliers de réflexion philosophique avec ses élèves4. Nous avons choisi de lire en début de séance une adaptation de l’Allégorie de la caverne de Platon, récit fondateur sur la question de la Vérité et du processus d’apprentissage. Description du contexte et de la préparation de la séance 5 Voir site Ricochet 19En amont de la séance de discussion, la maîtresse avait lu à haute voix aux élèves plusieurs albums sur les sciences et la question de la vérité Les découvertes de Nick Ecole des loisirs, La malédiction des maths Seuil, Sept souris dans le noir Milan, Les passions d’Emilie, marquise du Châtelet Gallimard jeunesse et la nouvelle Mathématique » de B. Friot in Encore des histoires pressées, Milan. Les élèves avaient aussi à leur disposition deux exemplaires de la collection les Gouters philo » Ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas et Croire et Savoir Milan. Soulignons qu’il existe dans la littérature de jeunesse contemporaine de nombreux ouvrages riches et très divers dans leur fond et leur forme qui permettent de faire réfléchir de jeunes enfants sur ces questions d’épistémologie5. Ces récits albums, contes, petits manuels de philosophie pour enfants sont une excellente médiation pour la réflexion philosophique. Ils permettent de mettre la problématique à bonne distance » entre l’expérience personnelle, trop chargée d’affect et trop réduite chez de jeunes enfants, et le concept lui-même comme ici la Vérité », trop abstrait et éloigné des préoccupations des élèves Chirouter, 2008. 20Les objectifs conceptuels de cette séance étaient essentiellement de faire réfléchir les élèves sur la distinction entre croire et savoir, d’interroger la notion de Vérité et plus globalement de tirer avec eux les leçons philosophiques de l’allégorie platonicienne. 21Pour commencer la séance, nous avons donc lu l’album de B. Jay, La caverne de Platon Editions du Cheval Vert, 2009. Après la lecture, a commencé le débat interprétatif/réflexif sur le sens de l’allégorie. Très rapidement, les élèves ont tenu à venir au tableau pour mimer la scène et mieux visualiser la position des prisonniers dans la caverne et la difficile ascension de celui qui en est tiré de force. 22Nous restituons les conclusions principales de ce débat qui a duré plus d’une heure. Les élèves ont répondu aux questions d’interprétation suivantes entre guillemets les mots employés spontanément par les élèves Qui sont les hommes de la caverne ? Des hommes enchaînés par l’ignorance », les préjugés », les erreurs », les croyances ». Que représentent-ils ? L’ignorance », les enfants », les fous », les adultes prisonniers de l’ignorance », des préjugés » ; Que représentent les ombres ? L’ignorance », les préjugés », les discriminations », le racisme », la bêtise », les croyances » dont l’astronomie », un débat entre deux élèves s’est d’ailleurs développé quelques minutes sur la différence entre l’astronomie et l’astrologie, la superstition » ; Qui est le prisonnier libéré ? Le philosophe », le savant », l’enfant qui apprend », qui grandit » ; Décrivez ce qu’il ressent quand il sort de la caverne de la douleur », de la souffrance ». Les élèves ont alors rattaché cette idée à leur propre expérience d’écolier. Apprendre est un acte difficile, auquel il est tentant de vouloir échapper. La position la plus facile et la plus confortable est effectivement de rester dans le confort de ses préjugés, de ses illusions, de ses erreurs. De quel passage, de quel cheminement Platon nous parle-t-il ? de la caverne à la lumière », de l’ignorance au savoir », de l’enfant à l’âge adulte » ; de l’erreur des préjugés, des représentations, de la superstition au savoir scientifique ». La maîtresse a alors rappelé aux élèves que l’on parle du siècle des Lumières » pour parler du XVIIIe siècle, époque de laïcisation de la science, de la pensée philosophique et de l’organisation politique. Les élèves ont alors spontanément cité des noms de philosophes rattachés à ce courant Rousseau », Diderot », Voltaire ». Pourquoi le prisonnier revient-il dans la caverne ? Il a une mission ». Il doit apporter la vérité », il doit enseigner aux autres », les sortir de l’ignorance ». Que se passe-t-il quand le prisonnier libéré revient dans la caverne on se moque de lui », on le rejette », on le tue ». A quels scientifiques ou philosophes cela vous fait-il penser ? Socrate lui-même », Galilée ». 23Pour conclure la séance, les élèves sont parvenus à expliciter trois grandes conclusions grâce au rôle et à l’étayage de l’enseignant que nous navons pas le temps de décrire précisément ici. La connaissance rend libre. Mais cette liberté a parfois un prix. Et il peut même être dangereux de vouloir connaître la vérité. Cependant, sortir de l’ignorance est une nécessité car la caverne des préjugés est une prison qui laisse les hommes dans l’illusion et l’erreur. Les élèves ont rattaché cette leçon à leur expérience scolaire pourquoi apprend-t-on à lire, à compter, à connaître l’histoire ? Pourquoi va-t-on à l’école ? A quoi ça sert d’apprendre ? pour être libre, ne pas être manipulé et pouvoir voter. Les élèves ont rappelé que la scolarisation obligatoire est récente dans notre histoire et que beaucoup d’enfants dans le monde n’ont toujours pas accès à ce droit. Apprendre est un acte difficile, parfois très douloureux et déstabilisant. Le prisonnier souffre. Ce n’est pas facile de changer d’idées, de visions du monde, de reconnaître qu’on s’est trompé, de devenir autre et de grandir. Si apprendre est nécessaire pour être libre, c’est aussi un chemin difficile. Parler de l'apprentissage la douleur d'apprendre, mais aussi le plaisir d’apprendre, le bonheur de savoir... résonne chez les élèves. Ils notent aussi que le savoir s’inscrit dans le temps, se construit patiemment et difficilement parce que d’autres vérités ont été déconstruites. Troisième grande leçon de ce débat Il ne faut pas confondre croire et savoir. La connaissance scientifique dépend d’une démarche et d’une rigueur. Toute croyance est respectable si elle est bien consciente d’être croyance. C’est la confusion entre savoir et croyance qui mène au dogmatisme et au fanatisme. Dans une visée très cartésienne, à propos de la genèse de nos connaissances et de la notion de certitude, les élèves ont aussi abordé la question du handicap et du rôle que jouent les cinq sens dans l’appropriation du monde le savoir authentique est-il lié aux sens ? Que peut-on connaître du monde quand on ne voit pas, quand on n’entend pas ? Les handicapés sont-ils comme les hommes de la Caverne ? Ils ont aussi abordé les illusions d'optique et les expressions de la langue courante je n'en crois pas mes yeux ! », je ne crois que ce que je vois ! ». Comment donc savoir ce qui est vrai ? Ils ont alors réfléchi sur la notion de preuve peut-on être sûr de tout ? Faut-il faire confiance à ce que l’on voit, à ce que l’on sent ? 24Pour conclure et synthétiser la séance, Antoine déclare Dans le mythe de la caverne, Platon nous parle de la vérité et du chemin de la connaissance. Il nous montre que ce n’est pas facile d’apprendre et ça on le voit bien tous les jours à l’école. Les ombres et les prisonniers c’est les hommes dans l’ignorance, les enfants et les fous… Ca veut dire qu’on est tous dans la caverne mais qu’avec des efforts on peut en sortir, même si c’est pas facile… mais il faut le faire car apprendre ça rend libre. C’est ça la leçon de la caverne. » 25Suite à cette séance, nous avons mené des entretiens semi-directifs avec la maîtresse titulaire de la classe sur les effets constatés dans la continuité de l’atelier. Elle se montre déjà très surprise de la profondeur des échanges et le fait qu’ils ont relié ce texte antique à leur expérience quotidienne d’élèves confrontés à l’acte d’apprendre. Elle a également constaté que lors de la séance de SVT qui a suivi, ils ont spontanément réinvestis les réflexions de l’atelier. C’est comme ce qu’on a dit avec sur le mythe de la Caverne ! ». Un élève très en difficulté se compare au prisonnier qui s’échappe… La recherche va se poursuive l’année prochaine pour continuer à évaluer les effets de ces moments de réflexion sur l’attitude, le sens donné et les compétences des élèves dans les matières scientifiques, mais à la lumière de la richesse des propos et des conclusions apportées, nous pouvons déjà constater que ces élèves ont pu construire une posture réflexive et critique sur des questions complexes d’épistémologie. Ils ont élaboré la distinction entre croire et savoir, et interrogé la question du dogmatisme. Ils ont mis en lumière le rôle libérateur de la connaissance, en la distinguant du bonheur et la rapprochant de leur expérience scolaire. Ils ont mis à jour et verbalisé la difficulté de l’acte d’apprendre et ont su rattacher le mythe antique à leur expérience quotidienne d’écolier. Lors de la séance de sciences qui a suivi, ils ont réinvesti spontanément les réflexions philosophiques qu’ils avaient développées et ont montré par-là que les ateliers philosophiques ne sont pas des moments déconnectés des autres apprentissages scolaires mais peuvent bien avoir des effets sur leur rapport aux savoirs. Des témoignages d’enseignants engagés depuis longtemps dans les ateliers philosophiques 26Des recherches, qui ont pu être menées sur le plus long terme, ont démontré les effets positifs des ateliers de réflexion philosophique sur le sens des apprentissages et la réussite scolaire des élèves. C’est le cas des travaux d’A. Lalanne 2004 et surtout de l’équipe canadienne de Daniel avec laquelle nous mutualisons nos travaux 2005. 27A. Lalanne a pu suivre pendant cinq années un groupe témoin d’élèves pratiquant régulièrement des ateliers de philosophie et a pu ainsi comparer les résultats de ces élèves avec ceux qui n’ont pas suivi ces séances. Elle a voulu évaluer le réinvestissement de ce travail philosophique aussi bien dans des situations de classe comportements, coopération que dans le rapport plus général aux savoirs scolaires. Elle a ainsi pu constater qu’indéniablement les élèves qui avaient suivi les ateliers de philosophie avaient plus progressé que les autres. En mathématiques et en sciences, elle constate Ils émettent, dans des situations de recherche, à partir d’un problème donné, des hypothèses dont la richesse et la diversité peuvent surprendre. En sciences, notamment lors de recherches sur les différentes manières dont les hommes peuvent connaître et reconstituer la vie il y a très longtemps. De même lors de situation-problèmes, ils parviennent à expliquer leur démarche de diverses façons, montrant une certaine facilité de raisonnement. » Lalanne, 2004, p. 92 28Ainsi non seulement les ateliers de philosophie développent des compétences transversales argumenter, problématiser, expliciter, déduire, etc. que les élèves peuvent réinvestir dans les autres disciplines mais c’est bien aussi le sens des activités scolaires qui est revalorisé Si les compétences disciplinaires sont nécessaires, elles ne suffisent pas à elles seules à aider l’enfant à construire sa pensée. Ce qui est en jeu dans la pratique réflexive de l’atelier se situe au niveau du sens même de l’acte de penser et de la prise de parole d’un sujet comme porteur de cette pensée … Cette recherche de sens s’est révélée de façon récurrente à partir du cycle 3, pour les enfants du groupe témoin, qui ont pris pour objet de questionnement certaines disciplines. En mathématiques, par exemple, au-delà des exercices pratiques, il leur était important de questionner l’idée de nombre. Au fond qu’est-ce qu’un nombre ? Pourquoi compter ? A quoi cela sert-il ? Que fait-on quand on compte ? Qu’est-ce que l’infini ? » 2004, p. 101. Les résultats des travaux déjà effectués sur la question en collaboration avec M-F Daniel Université de Montréal 29Depuis 1996, l’équipe constituée autour de Daniel à l’Université de Montréal travaille à partir d’un matériel pédagogique spécifiquement conçu pour faire philosopher des élèves de l’école primaire sur les mathématiques et les sciences. Par l’analyse des échanges et les entretiens avec les enseignants de ces classes, ils ont évalué les premiers effets de l’utilisation de ce matériel sur les résultats et comportements des élèves québécois classe de 5ème année. Ce matériel est constitué de deux romans philosophiques, Les aventures mathématiques de Mathilde et David, Rencontre avec le monde des sciences et d’un guide pour l’enseignant 1996. Ce matériel vise à faire philosopher les élèves sur des concepts philosophiques en lien avec les problèmes mathématiques aux programmes, ainsi que sur les stéréotypes que nous avons cités plus haut. Les conclusions de cette étude confirment bien les premiers résultats de notre recherche française 1 les élèves sont effectivement capables d’avoir des réflexions profondes sur des questions d’épistémologie ; 2 à moyen terme, les ateliers ont bien des effets sur la construction de la pensée logique, créative, responsable, métacognitive, le rapport au savoir, les représentations et même les blocages affectifs des élèves Eduquer, c’est stimuler les jeunes au dépassement de soi et à l’exploitation de leurs compétences potentielles. Philosopher avec les jeunes se pose donc incontestablement comme un moyen favorisant l’éducation et le développement global des jeunes générations, en regard des compétences transversales d’ordres intellectuel, social et dialogique. » 2005, p. 156 30Toutes les études convergent donc pour montrer, qu’au-delà des compétences réflexives développées dans les ateliers de réflexion philosophique, ces séances permettent à certains élèves – à ceux qui plus que tout autre ont besoin de donner du sens à ce qui leur est demandé en classe – de construire un rapport plus positif aux savoirs. La poursuite de cette recherche, par un suivi régulier sur une année scolaire complète, avec des groupes témoins, l’analyse comparative de résultats en mathématiques et en sciences, et des entretiens réguliers avec les élèves, les enseignants, les Assistants de Vie Scolaire intitulé, permettra de préciser encore plus les effets réels des DVP » sur les compétences, l’appropriation des connaissances, les savoirs et le savoir-être de l’élève-sujet. 3. Conclusion 31 Nul n’entre ici s’il n’est géomètre », telle était la célèbre phrase inscrite sur la porte d’entrée de l’Académie d’Athènes, lieu de la naissance de la philosophie occidentale. Un lien historique lie les mathématiques, les sciences et la philosophie. C’est ce lien qu’il nous semble si important de faire à nouveau émerger dans l’école moderne. Certes les Discussions à visée philosophique », si elles étaient institutionnalisées dès l’école primaire, permettraient de révolutionner l’enseignement de la philosophie et de démocratiser son accès à tous les élèves de l’école républicaine, mais ce que nous plaiderons ici en guise de conclusion s’inscrit bien au-delà de la simple didactique du philosopher puisqu’il s’agit in fine de défendre, non pas seulement la tenue régulière de moments de réflexion philosophique intéressants en soi mais déconnectés des autres moments d’apprentissage, mais bien de construire une école philosophique, qui développe une approche culturelle et réflexive de tous les savoirs, en leur donnant une dynamique du sens et du désir. Nous rejoignons là encore les aspirations d’une anthropologie des savoirs définie par Lévine et Develay Quand on voit à quel point une grande partie du savoir scolaire que nous transmettons est fossilisée, on se plait à penser à ce que pourrait être un enseignement qui saurait faire retour aux sources d’où sont nés les savoirs.… Il ne saurait y avoir de pédagogie des disciplines qui ne transporte dans le champ scolaire, sur le mode d’un puissant retour aux sources, la vitalité et les émotions qui ont accompagné la plupart des grandes découvertes » 2003, p. 12. 32Les ateliers de philosophie, parce qu’ils contribuent ainsi à relier l’élève à l’humaine condition, parce qu’ils développent des compétences intellectuelles réinvestissables dans l’ensemble des autres champs disciplinaires, participent à la démocratisation scolaire. L’enjeu de ces recherches n’est donc pas seulement didactique mais s’inscrit bien dans une ambitieuse mission politique assumée. nlasf.